Histoire peu connue des enseignants lorrains jetés dans le système éducatif hitlérien en 1940


recherches généalogiques / samedi, septembre 21st, 2019

Ceci est une retranscription d’un article de Gérard Stricher paru dans le Républicain Lorrain et retrouvé dans les archives de mon grand-père Jacques Sadler. Avec sa promotion d’enseignants, il se préparait à entrer dans l’école de la République. L’annexion de la Moselle les a jetés dans le système éducatif préconisé par le national-socialisme d’Adolf Hitler.

Les classes détournées

François Gross, enseignant malgré lui, emmené en Autriche pour le stage de « mise à pas ». Il raconte…

« Nous ne sommes pas des déportés ni des ouvriers soumis au service du travail obligatoire, et pourtant…« . François Gross est originaire du pays de Bitche. Il ne se destinait pas particulièrement à l’enseignement mais aux premières heures de la tourmente qui allait secouer le monde, l’école de Schorbach a été évacuée à La Pallue (Charente). L’instituteur en titré était Henri Wilmin. Rappelé à l’armée, le titulaire du poste a été remplacé par le jeune François Gross le 19 mai 1940. Pour quelques mois et pour être acteur, à son corps défendant, d’une grossière opération de récupération orchestrée par les dirigeants du IIIe Reich, désireux de gagner à leur cause les enseignants, appartenant pour la plupart aux promotion 1940 et 1941 de l’Ecole Normale de Montigny-lès-Metz.

Eux qui se préparaient à servir l’école de la République, ont été confrontés d’entrée à une tentative d’escroquerie morale qui s’inscrivait aussi dans une volonté révisionniste de l’histoire, l’objectif final étant de les convaincre de l’appartenance de la Moselle à une culture et une tradition germanophiles. Peine perdue. Dans le silence mais dans la détermination, ces « soldats » de Jules Ferry ont résisté, gardant au fond de leur coeur l’espoir de voir le cours des événements changer dans le sens qu’ils souhaitaient. Jeunes et turbulents, le destin les a mis à l’épreuve de la patience.

Les devoirs du Reich

Rentrant de La Pallue, François Gross pensait bien garder assez de liberté d’action pour orienter sa vie en fonction de ses convictions. Il rêvait. En Moselle, l’administration conquérante et occupante avait déjà mis en place les mailles du filet pour bien faire comprendre et admettre à tous les habitants présents, qu’ils étaient Lorrains, certes, mais désormais membres avec tout ce que cela impliquait comme devoirs, du grand Reich. Pas réjouissant, on l’imagine. D’autant que cet encadrement s’accompagnait de l’obligation de prendre en charge une école communale.

De gauche à droite : Antoine Tousch (directeur d’école honoraire, Zetting), Joseph Weissend (professeur honoraire lycée français à Sarrebruck et lycée technique à Sarreguemines), François Gross (PDG de cristallerie à la retraite), Marcel Niederlander (directeur d’école honoraire, Metz-Devant-les-Ponts, décédé), Jacques Sadler (directeur d’école honoraire Achen, Sarreguemines, Croix de guerre 39-40).
Ils sont tous anciens de la classe A au camp de « mise au pas » (Ausrichtelager) de Sankt Pölten en Autriche.

En l’occurrence celle de Metting près de Phalsbourg. Ainsi, sans pouvoir à un seul moment envisager le contraire, François Gross fit partie du groupe de cinquante jeunes instituteurs, envoyés le 19 août 1941 en Autriche pour être « adaptés » au système nazi. Quelques mois auparavant déjà, ils étaient une centaine à suivre un stage de quatre mois, dans la perspective de les couler dans le moule d’où jaillirait une meilleure compréhension des vertus de l’éducation nouvelle. François Gross qui prépare un livre (en 1992 donc) sur son itinéraire de Moselle balloté, dans un monde où l’angoisse le disputait au sentiment de révolté, se souvient : « on a essayé de nous inculquer que la Lorraine de par son histoire et de la « Volkskunde », sa toponymie en particulier, est une terre allemande. On nous apprend les lois génétiques de Mendel et de préservation de la race, les chants allemands et la gymnastique. malgré le zèle des professeurs, nous demeurons insensibles à toutes les intoxications et construisons nos réponses. En juillet, le stage est sanctionné par un examen qui n’est qu’une simple appréciation d’autosatisfaction des professeurs, qui devaient prouver qu’ils avaient rempli leur mission.« 

Les stagiaires finiront également par savoir que c’est sur l’ordre d’Adolf Hitler lui-même que le ministre de l’Instruction publique, Bernhard Rust, a pris l’initiative de mettre sous le couvercle germanique les enseignants lorrains.

Groupe mixte à l’école normale de Montigny
(Hochschule für Lehrerbildung du 11 mars au 15 juillet 1941)

La France… et ce fut l’Autriche

Selon François Gross, certaines leçons étaient conçues sous des abords qui masquaient, en trompe-l’oeil, des desseins de séduction. Le personnage de Goethe, dont l’oeuvre était connue de tous, servait notamment cette démarche fallacieuse. « C’était subtil, mais…« . Mais voilà le moment où ces instituteurs d’une époque étrange étaient invités à choisir une affectation. A leur manière, ils allaient commettre un acte de résistance. « Sur les premières listes, l’administration allemande ne pouvait déchiffrer ni le lieu choisi ni les signatures. Sur la deuxième, qu’on prit le soin de dactylographier, des jeunes dont certains avaient servi dans l’armée française et dont l’un était détenteur de la Croix de guerre, un autre officier, un autre candidat à l’école spéciale militaire de Saint-Cyr, inscrivaient « France« , dit François Gross. Evidemment, le directeur, nazi dans l’âme, indiqua tout de suite qu’un tel comportement rébarbatif entraînerait le placement en camp de redressement. celui-ci, on devait le savoir après, pouvait devenir camp de concentration tout simplement. Il leur proposa de déchirer la liste, si toute la classe était encline à se rendre quelque part en Autriche. La classe se poursuivait ainsi à St-Pölten, près de Vienne. Ce camp-là se contentait de la dénomination de « mise au pas ». Il dura dix jours. A l’issue, réception chez le Gauleiter de Vienne et proposition d’assermentation. Elle a été rejetée par tous.

Mais pouvait-on éviter la remise très officielle de « Mein Kampf »… Pendant 16 mois, ils furent employés en Autriche et purent remarquer que tous les citoyens de ce pays n’étaient pas forcément en accord avec l’ukase de l’Anschluss intervenu en 1938. En tout cas, à l’est du Reich hitlérien, on les considéra pas toujours comme des… Allemands. Certains ont été recensés comme Français, d’autres comme Lorrains. Lorsqu’il furent rappelés en Lorraine, ce fut surtout pour les rendre incorporables. Ils n’oublieront jamais…

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